3-2-6) 1942 : BR52 – « Kriegslok » (Locomotive de guerre)
La construction des locomotives de guerre allemandes est une bonne illustration de ce que les hommes sont capables de faire lorsqu’ils se font la guerre et considèrent comme impossible à réaliser quand ils ne la font pas.
La désignation de « série 52 » occupe une place un peu à part dans le programme de construction de locomotives de la DRG. Il avait été en effet prévu d’attribuer ce numéro de série à une nouvelle locomotive une première fois en 1924, puis en 1934, puis en 1939 sans que cela ne se concrétise. Il aura fallu attendre le 12 septembre 1942 pour voir sortir des ateliers Borsig de Berlin la première machine à porter ce numéro de série : la BR 52 001.
Mais la série n’allait pas être anecdotique ! Au cours des quatre années écoulées entre la sortie de la première machine prototype et la fin de la guerre, la BR52 allait être construite en un nombre supérieur à celui de l’ensemble de toutes les autres locomotives unifiées de la DRG.
Bien que situées dans la filiation de la construction des locomotives unifiées de la DRG, les machines de la série 52 (et celles de la série 42 qui suivit) allaient présenter des caractéristiques de construction particulières très différentes de celles des autres machines unifiées.
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Au cours des années 1933 à 1938, la DRG augmentait son parc de machines à vapeur d’environ 120 à 170 nouvelles locomotives unifiées par an. A ce rythme, les premières machines unifiées livrées depuis 1925 allaient se trouver en situation d’être radiées à leur tour avant même que l’ensemble des locomotives plus anciennes, reprises des anciennes compagnies, n’eussent trouvé de remplacement. Conscient de cette situation, le bureau central de la Reichsbahn (RZA – Reichsbahn Zentralamt) publiait en 1939 un plan sur vingt ans pour le renouvellement de l’ensemble des locomotives encore en service provenant des anciennes compagnies.
A peine paraphé cependant, le plan se voyait annulé en raison de la guerre. La plupart des commandes déjà engagées pour des machines classiques étaient aussitôt annulées. Seules trois séries de machines de ce plan initial voyaient leur construction prolongée ou confirmée : les BR 44, 50 et 86, car ces locomotives possédaient des caractéristiques appropriées à l’usage de guerre.
A partir de 1941, l’étendue des territoires conquis par l’Allemagne allait exiger des locomotives existantes de parcourir des distances pour lesquelles elles n’avaient pas été conçues. La méconnaissance et l’impréparation à l’ « hiver russe » 1941/1942 allaient révéler le caractère inutilisable des locomotives classiques dans de telles conditions climatiques. Les dégâts dus au gel allaient croissants.
Face à cette situation, la Wehrmacht exigeait une augmentation exponentielle de la production de locomotive à laquelle l’industrie ne pouvait pas faire face par manque de moyens et de main d’œuvre, sauf à revoir radicalement les méthodes de conception et de fabrication des machines.
L’on commença donc dans un premier temps à renoncer sur les séries encore en fabrication à l’installation des réchauffeurs d’eau, des dômes de vapeur et des pare-fumée. Les locomotives produites avec ces simplifications, désignées comme ÜK (« Übergangs-Kriegslokomotiven » - Locomotives transformées pour la guerre) n’allaient cependant permettre que de gagner 10% d’économies de main d’œuvre et ne suffisaient pas à combler l’urgence de la demande.
C’est ainsi qu’en décembre 1941, les constructeurs de locomotive recevaient un ordre de fabrication pour une locomotive dite « de guerre » qui, avec le même poids par essieux que la BR50 (15t), serait capable de tracter 1200t à 65 km/h sur le plat, et dont la construction permettrait des économies substantielles de matériaux et de main d’œuvre par rapport aux BR50.
A part la WLF (Wiener Lokomotiven Fabrik) qui proposait une machine de type E (050) à embiellage Beugniot à jeu latéral, couplée à un tender à essieux rigides, tous les autres fabricants restaient sur le développement d’une machine 1’Eh2. Devant l’enjeu, le 7 mars 1942, la construction des locomotives et wagons était placée sous l’autorité directe du ministère de l’armement et des munitions.
Pour les seules années 1943 et 1944, le commandement de la Wehrmacht exigeait des constructeurs 7500 locomotives par an ! Afin d’y faire face, la construction de la BR86 était arrêtée en 1943 et celle des BR44ÜK délocalisée en France dès 1944. Seule la BR50ÜK était encore produite en Allemagne et les usines allaient progressivement en convertir la construction en BR52.
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Borsig avait terminé le prototype de la BR52 en septembre 1942. Dès réception, la machine partait avec la BR 50 377 pour un voyage de propagande à travers l’Allemagne afin de montrer aux ouvriers des usines et au peuple allemand qu’il était possible de construire une locomotive pleinement fonctionnelle avec très peu d’argent et de matériaux.
Et en effet, le comité directeur pour les véhicules sur rail créé à l’initiative du ministère de l’armement avait pu réaliser des économies de main d’œuvre et de matières première considérables pour la construction des BR52 : De 165t pour une BR50, le poids total des matériaux utilisés passait pour une BR52 à 139t, puis à 130t en 1943. La construction d’une machine demandait 6000 heures de travail en moins.
Les économies de métaux non ferreux (cuivre, étain) étaient considérables elles aussi puisque leur emploi passait de 2838 kg dans une BR50 à 150,3 kg dans une BR52 sans que les performances globales de la machine en fussent significativement affectées.
Les simplifications apportées à la construction par rapport à la BR50 étaient en vérité considérables. En voici les principales :
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Suppression du réchauffeur Knorr ;
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Remplacement de la pompe d’alimentation par une pompe à diffusion, sans pièces mobiles ; - Suppression des grands pare-fumée Wagner (Il apparut toutefois plus tard que l’on ne pouvait se passer totalement de pare-fumée. Un modèle plus petit fut donc créé, de conception Witte. Les pare-fumée Witte furent initialement testés en soufflerie en 1943, à l’école technique supérieure de Hanovre, sur la BR 52 2328, puis testés en marche sur la BR 52 180) ;
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Suppression de la crosse de tige de tiroir ;
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Suspension du levier d’avance sur un seul pendule ;
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Mise en production à la chaîne des bielles motrices et des bielles d’accouplement ;
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Dispositif de coulisse soudé sur les têtes de bielles, elle mêmes usinées dans la masse ;
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Absence de coins de réglage des boîtes d’essieux. Cette disposition se révélera être une erreur conduisant à une usure prématurée des boîtes d’essieux. Les coins furent réinstallés ;
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Remplacement du cadre en barre par un cadre en tôles, plus facile à usiner. 300 machines cependant recevront encore un cadre en barre car il y avait des stocks préparés pour la BR50.
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Réduction de 10 mm des bandages de roues ;
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Cabine de conduite à double paroi, entièrement fermée, et reliée au tender par un soufflet d’intercirculation. La cabine ne comportait plus qu’une seule fenêtre latérale ;
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Suppression de la fermeture centrale de la porte de boîte à fumée ;
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Suppression de la cloche ;
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Remplacement du gros sifflet de type Reichsbahn, trop coûteux, et retour au type prussien.
1108 machines seront spécialement préparées pour affronter le gel. Elles sont reconnaissables au clapet de fermeture de cheminée, lequel clapet était actionné depuis la cabine de conduite au moyen d’un câble gainé.
Parmi les éléments de protection au gel, on notera la chaudière et les caisses à eau du tender entourées d’une couche de laine de verre, la possibilité de réchauffer l’eau du tender par un circuit de vapeur fraîche, l’isolation de la pompe à air et des conduites externes, et le déplacement sous la chaudière des conduites de lubrification.
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La recherche de la meilleure adaptation des locomotives aux conditions de plus en plus dures de la guerre mena à conduire plusieurs expériences :
- Cinq machines équipées de chaudières Krauss à foyer en ligne furent commandées par la Direction Centrale des Véhicules sur Rails (HA) à Krauss-Maffei. Livrées sous les numéros d’usine 16671 à 16675, elles recevaient les numéros de série 52 3620 à 52 3624. La chaudière à foyer ondulé, emboutie d’une seule pièce, ne comportait pas de tirants de ciel. Le foyer était solidaire de la chaudière et formé d’un tube ondulé directement dans le prolongement du corps cylindrique. Une canalisation collective d’évacuation de la vapeur et des fumées y remplaçait le dôme de vapeur.
Livrée en octobre 1943, la 52 3620 était acheminée au LVA de Grunewald et mise à l’essai aux environs de Munich jusqu’en mars 1944. Ces essais devaient servir à perfectionner le système sur les machines 52 3621 à 52 3624 encore en construction.
Trois d’entre elles seulement seront livrées avant la fin de la guerre (52 3621 à 3623). Assez fortement endommagées, elles retourneront en usine pour réparation en 1946/1947. Elles seront alors remises en service, mais finalement remisées en 1948 à cause d’un aplatissement constaté de la chaudière à foyer ondulé pouvant causer un risque d’explosion. Les machines seront radiées le 20 novembre 1952.
- Bien que la DRG ne fût pas satisfaite des essais qu’elle avait réalisés sur les machines de série 03 175, 03 207 et 64 293, la Direction des Véhicules sur Rail fit à nouveau expérimenter le dispositif de commande de soupapes Lentz sur dix locomotives de série 52. L’Institut des Constructions Mécaniques (MBA : Maschinenbau-Anstalt) de Karlsruhe n’allait finalement pouvoir livrer qu’une seule machine ainsi transformé avant la fin de la guerre. Il s’agit de la BR 52 4915 qui était livrée le 6 janvier 1944. Les neuf autres machines en préparations resteraient en l’état.
La 4915 serait remise en service régulier après 1948, mais des pannes à répétitions du système de commande des soupapes allaient en plomber la rentabilité. Entièrement révisée en 1953/1954 et mise en service en tête du train de mesures du bureau central de la DB (BZA : Bundesbahn Zentralamt), la locomotive confirmait les défauts initialement constatés du système Lentz : un remplissage incomplet des cylindres et, partant, une consommation anormalement élevée de vapeur. A la suite de quoi la machine sera radiée le 18 octobre 1954 et ferraillée le 9 février 1956.
En résumé, les transformations effectuées par rapport à la version d’origine furent les suivantes :
52 002 à 52 006 : Voussure du couvercle de boîte à feu. (Henschel)
52 524 et 52 525 : Pare-fumée soudés (AEG)
52 3620 à 52 3623 : Chaudière Krauss à foyer ondulé en ligne (Krauss-Maffei)
52 4915 : Commande de soupapes Lentz (MBA Karlsruhe)
52 5058 à 52 5074 : Corps cylindrique de chaudière soudé (MBA Karlsruhe)
52 7463 à 52 7493 : Tirants soudés sans filetage, de conception Škoda
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Suivant le comptage effectué par Alfred B. Gottwaldt, 6151 locomotives de série 52 furent construites pour la DRG.
93 locomotives furent remises aux BDŽ (Bulgarie), CFR (Roumanie), HDŽ (Croatie) et TCCD (Turquie) au titre de « l’aide économique ».
A la fin de la guerre, de nombreuses machines en construction se trouvaient encore dans les ateliers Henschel et Jung. Leur construction fut achevée sur ordre des autorités d’occupation américaines. Ces machines de série 52 (26 provenant de chez Henschel et 20 de chez Jung) reçurent encore toutes la livrée de guerre uniformément grise et furent mises en service en 1946 comme « locomotives d’après-guerre » (Nachkriegsausführung).
Au cours des années 1948-1951, sur ordre de la Direction Centrale des Chemins de Fer (EZA) de Göttingen, 40 machines supplémentaires furent construites à partir des stocks de pièces restants et mises en service à la Direction Régionale de Hanovre. Ces machines sont connues comme « locomotives livrées après guerre » (Nachkriegslieferung). Ces machines servirent à l’expérimentation de diverses techniques nouvellement développées afin de les traduire ensuite dans le programme de construction des nouvelles locomotives de la DB. Ainsi, à titre d’exemple, fut expérimenté sur la BR 52 878 le régulateur de soupapes multiples pour vapeur surchauffée.
Les principaux tests portèrent cependant sur les essais de différents systèmes de réchauffeurs et de pompes d’alimentation.
Les livraisons d’après guerre Henschel reçurent les numéros 52 124 à 52 143 et 52 875 à 52 894. Les deux dernières machines, 52 893 et 894, furent équipées de réchauffeur par récupération des gaz de conception Franco-Crosti et renumérotées 42 9000 et 42 9001.
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Les données chiffrées à propos des stocks de BR 52 restant en possession des deux administrations de chemins de fer allemandes d’après guerre varient fortement d’une source à l’autre. Concernant la DR est-allemande, le nombre de machines en sa possession a été estimé à environ 1500. Si tel est le cas, il se situerait environ au double de celui de la DB.
La DB fut la première à radier ses machines. Alors qu’environ 700 unités étaient encore en service en 1953, il n’en restait guère que 100 en 1954. En 1959, seules subsistaient les machines de livraison d’après guerre. Leur atelier d’entretien était à Brême.
Vers le milieu de l’année 1963, les locomotives de série 52 avaient pour ainsi dire disparu des rails de la DB.
Le prototype Borsig 52 001 fut radié le 18 octobre 1954. Sa chaudière fut installée sur la BR 50 1696 puis sur la BR 50 833. Toutes les chaudières réutilisables provenant des BR52 radiées furent réinstallées sur des BR50 à conditions qu’elles fussent en alliage St 34. Elles remplacèrent les chaudières en alliage S t47 K.
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La DR, en revanche, possédait encore au milieu des années 70 un grand nombre de machines de série 52 en service et parfaitement entretenues. Leur atelier d’entretien était à Stendal.
La DR ne pouvait se permettre de radier ses BR52 comme l’avait fait la DB car elle manquait cruellement de machines de type 44 et 50.
Afin de pouvoir les maintenir en service le plus largement possible, elle leur fit subir en 1958 une vaste campagne de révision générale dont l’objectif était principalement de renforcer les éléments par trop légers conçus pour la guerre.
Les éléments les plus importants concernés par cette révision étaient l’installation de réchauffeurs et de coins de réglage des boîtes d’essieux.
Pour pouvoir installer ces coins, les logements des boîtes d’essieux devaient être agrandis, opération relativement coûteuse sur des machines à cadre en tôle. Le réchauffeur-mélangeur de conception ifS/DR se trouvait placé, comme toujours à la DR, devant la cheminée dans la boîte à fumée. Pour pouvoir contenir le mélangeur, la boîte à fumée dût être allongée de 200 mm. La pompe du mélangeur était installée à mi longueur de la machine sur un support approprié et les réservoirs d’air se retrouvaient placés sur la tôle de circulation du côté droit de la machine.
Toutes les machines sortant de révision générale reçurent une nouvelle chaudière verticale, sur le modèle de celle d’origine, mais entièrement soudée. Le raccordement de celle-ci avec le corps cylindrique était assuré par une collerette rivetée. Les machines furent également rééquipées de deux niveaux d’eau.
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Parmi les locomotives ayant passé la révision générale se trouvaient également 30 machines initialement prévues pour être livrées comme BR 50 ÜK, qui furent finalement livrées comme BR52. Ces machines conservèrent leurs chaudières verticales d’origine mais bénéficièrent de l’ensemble des autres opérations de la révision générale.
A partir de 1968, quelques machines reçurent des éjecteurs plats de type Giesl initialement réservés aux machines dites de « reconstruction » de la DR.
Les locomotives sortant de révision générale furent officieusement désignées comme BR52 GR (pour « General Reparatur ») et conservèrent, contrairement aux machines reconstruites, leur numérotation d’origine.
Les BR52 furent, jusqu’au milieu des années 70, la principale locomotive pour trafic des marchandises dans les environs de Berlin. Elles stationnaient en nombre dans tous les dépôts berlinois. Plus tard, on les trouva dans les dépôts d’Engelsdorf (Leipzig), Dresde, et l’axe oriental Zittau, Cottbus, Görlitz, Kamenz. Au sud du territoire, les dépôts d’Altenburg et Zeitz abritaient aussi des BR52.
C’est ainsi que des locomotives conçues dans l’urgence et prévues pour n’être utilisées que peu de temps finirent par effectuer 30 années de service. Conçues comme locomotives de guerre, elles furent majoritairement utilisées en temps de paix et il est difficile d’imaginer le trafic ferroviaire des années d’après guerre sans la présence des BR52.
En 1979, l’entretien des BR 52 (et celui des BR50) fut transféré du Raw Stendal au Raw Meiningen. Les cylindres à vapeur des BR52 radiées, pour autant qu’ils fussent encore en parfait état, furent récupérés et installés sur les BR50.
Au cours des années 1979 à 1981, quelques locomotives de série 52 déjà arrêtées furent utilisées à diverses recherches commandées par la Direction Générale de la DR.
Au mois de mai 1981, conservée en état de marche, la 52 6666, dernière machine en service, quittait définitivement le Raw de Meiningen.
Catégorie : 1’Eh2 - Kriegslok
Distribution : G56.15
Diamètre des roues motrices : 1400 mm
Vitesse maxi : 80 km/h
Fabricant : Ensemble des constructeurs
Première mise en service : 1942
Tender : 2’2’T30 (« Baignoire ») avec 8t de charbon, puis 4T30 (à essieux rigides)
Nombre total construit : plus de 6200
Nombre intégré à la DRG : 6151
Numérotation : 52 001 à 52 7794 (numérotation non continue)
Dates de dernière réforme : mai 1981
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BR 52 001 (Borsig 15446/1942) – Locomotive prototype
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BR 52 3620 (Krauss-Maffei 16671/1943) avec chaudière Krauss à foyer ondulé. La machine fut récupérée par la DB et radiée le 14 novembre 1952